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Projet en crise, il s’agirait d’aller chez le coiffeur* | Luciano Antonietti, Mathias Helfenstein, Basil Merz et Tiffanie Paré

Publiziert 12. April 2023

Projet en crise, il s’agirait d’aller chez le coiffeur* | Luciano Antonietti, Mathias Helfenstein, Basil Merz et Tiffanie Paré

Face aux crises, les étudiants en architecture, paralysés dans leur capacité à faire du projet, se réfugient dans la dénonciation, constatent quatre jeunes architectes diplômé·es de l’EPFL. Ils et elles invitent les praticiens à intégrer l’activisme dans leur pratique, par le projet. Et les écoles à encourager et soutenir l’esprit critique de leurs étudiant·es.

 

Texte: Luciano Antonietti, Mathias Helfenstein, Basil Merz et Tiffanie Paré / Dossier: Inéduquation 

*« Changer le monde, changer le monde, vous êtes bien sympathiques mais faudrait déjà vous lever le matin. Je sais pas si vous êtes au courant, mais le monde, il vous attend pas, le monde, il bouge et il bouge vite ! » OSS 117, Rio ne répond plus

L’écoanxiété ambiante paralyse toute une génération de jeunes architectes et nous amène à contester le contenu de notre formation. Cette dernière semble trop lente pour s’adapter aux problématiques dérivées de la crise écologique et sociale actuelle ; elle apparaît déphasée. Comment pouvons-nous nous positionner quant au choix de société qui est à faire ? Que dire de la survie du vivant ? Quels impacts sommes-nous prêt·es à assumer ? Ces questions paralysent par leurs échelles, par leur multiplicité, par leur urgence et par leurs réponses parfois antinomiques. Elles rendent difficile une prise de position précise.

Nous nous retrouvons face à une situation d’immobilisme critique ; le projet, qui est normalement l’exutoire à la création, est ici paralysé par les crises qui agissent comme son antagoniste. Les étudiant·e·s se trouvent dans la même situation que des architectes qui, à la suite à l’exemple de Manfredo Tafuri, ont choisi renoncer au projet et d’adresser la crise par d’autres biais1 . Si Tafuri a provoqué une certaine fuite vers la théorie, la crise écologique risque de nous mener vers un activisme qui se positionne uniquement dans la dénonciation. Celui-ci donne l’illusion d’une action projectuelle concrète, il dénonce sans risquer de s’inscrire dans une temporalité longue. Le temps de réaction court de cette action militante l’expose et l'inscrit dans ce qui l’entoure. Elle risque alors d’être rapidement désuète face à une réalité en mutation constante.

Il y a pourtant une place dans le métier d’architecte pour mener une action militante au sein même de la profession telle que définie par la société. En effet, il reste une marge de manœuvre dans le monde actuel de la construction pour y insuffler une sensibilité éthique. L’architecte peut engager sa responsabilité politique. Iel doit avoir le courage d’inscrire les problématiques qui lae touchent à toutes les échelles du projet, temporelles et matérielles, ce qui demande avant tout des capacités de coordination.

Il serait inadéquat de dire que nous sommes mal éduqué·e·s ou que nous avons besoin d’une rééducation en sortant d’un cursus universitaire. Nous avons en revanche besoin de joindre nos connaissances et d’observer notre formation comme un outil transversal et non comme un ensemble d’entités séparées et obligatoires. Une compréhension du sujet qui passe aussi par la manière d’enseigner et d’apprendre. Il est nécessaire de reposer nos connaissances sur des bases solides, possibles uniquement par une structure de cours forte.

L’école a besoin d’adopter le rôle de coordinatrice à l’intérieur même de la formation. Les professeur·e·s et les laboratoires devraient créer des liens et établir une narration entre les différents savoirs architecturaux que nous acquérons. L'esprit critique deviendrait alors un outil projectuel fondamental pour éviter de tout déconstruire et pour adresser les défis du présent. Des outils propres à notre discipline, tels que la représentation, nous donnent la capacité de synthétiser et communiquer sur des réalités complexes. Ils permettent un travail transdisciplinaire pour chercher ensemble des tentatives de résolution aux crises qui nous paralysent.

Luciano Antonietti, Mathias Helfenstein, Basil Merz et Tiffanie Paré sont architectes diplômés EPFL (2022-2023) et membres de l’association La Méduse, à Lausanne.

Note

 

  1. «Già da tempo gli architetti sono coscienti della falsità di una loro posizione “demiurgica” in seno ai conflitti sociali, e per molti ciò ha significato l’abbandono definitivo di ogni tipo di lotta, per altri ha significato la necessità di uno spostamento della lotta stessa in campi che sembravano più idonei per influire sulle cause prime di quelle disfunzioni. Da ciò il rifugio nell’urbanistica: ma ben presto ci si accorse che quando un’intera civiltà è in crisi, nessun settore ha in sé la possibilità di offrire soluzioni decisive». 

 

Manfredo Tafuri, Dal progetto alla storia : Gli anni della critica e della nuova dimensione urbana. A cura di Luka Skansi. Macerata, Quodlibet Habitat, 2022

Dossier : Inéduquation